Dominique Royet s’est entretenue avec Arnaud Greth, ancien Directeur des programmes au WWF et fondateur Président de l’ONG Noe (experte sur les sujets de biodiversité) qui développe depuis 20 ans des programmes de protection de la biodiversité en France mais gère aussi des réserves de biodiversité en Afrique, comme au Niger, Tchad et Congo.

Bonjour Arnaud. Tu connais bien cette problématique des espaces protégés, et je me suis dit que tu pouvais m’aider à comprendre si la COP15 Biodiversité de Kunming/Montréal qui vient de s’achever est ou non un joli cadeau de Noël ?

Oui, c’est définitivement un cadeau de Noël pour la Nature (et donc pour nous !). Elle se termine sur un résultat inespéré, un message d’espoir pour les générations futures : L’objectif 30 30 (protéger 30 % de la planète en 2030) affirme pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, que nous sommes collectivement prêts à redonner de la place à la nature.

Lorsque j’ai lu que 30 % des surfaces allaient être protégées, je t’avoue que j’ai eu quelques doutes sur la possibilité de le faire. Qu’en penses-tu ?

Tu n’as pas tort, c’est un vrai challenge. 18 % des surfaces terrestres et 8 % des surfaces maritimes sont classées en Aires Protégées, selon les chiffres officiels. Mais les statuts de protection sont variables et, dans la réalité, beaucoup de ces aires protégées ne sont pas réellement protégées (on parle de Parcs sur le papier). Elles sont soumises au braconnage ou à la surpêche, sont envahies par le pastoralisme et l’agriculture, ou sont menacées par des projets d’exploitation minière ou pétrolière, ou des infrastructures.

En France, par exemple, seuls 1,5 % du territoire métropolitain bénéfice d’un statut de protection fort (sans aucune utilisation extractive des ressources naturelles). On est donc loin du compte…

Mais comment est-il possible de ne pas respecter ces statuts de protection ?

En fait, dans beaucoup de nos Parcs Nationaux et Réserves Naturelles, la chasse, l’exploitation forestière, la pêche, le pâturage sont légalement autorisés, et cela modifie évidemment la dynamique naturelle des écosystèmes, et leur bon fonctionnement. Or ce sont normalement les statuts de protection les plus forts… Il existe de nombreux statuts de protection des espaces naturels, dont beaucoup sont peu contraignants.

Alors, seul l’emballage nous fait penser que c’est un cadeau de Noël mais en réalité, ce n’est pas si ambitieux que ça ou c’est totalement irréaliste et ça ne pourra pas être mis en œuvre ?

Au-delà de l’ambition, c’est quand même un signe fort des pays qui se sont engagés pour sauvegarder et restaurer la biodiversité. Cela montre la prise de conscience planétaire de l’importance de la biodiversité au même titre que le climat. Et d’ailleurs on ne sauvera pas le climat sans sauver la biodiversité ! Les 2 sont liés.

Mais, dans un premier temps, il est impératif de protéger sur le terrain et efficacement les espaces protégés existants. Pour cela, et comme s’y engage la communauté internationale à la COP15, il faut plus de moyens financiers. Par ailleurs, et on l’oublie toujours, il faut aussi améliorer la gouvernance des projets de terrain.

La gouvernance, qu’entends-tu par là ?

La gouvernance est un point essentiel que tout le monde semble négliger…

Trop d’argent est gaspillé ou mal utilisé à cause de circuits de financements trop complexes, d’une méconnaissance de la réalité des pays concernés, de projets mal conçus, ou tout simplement de la corruption qui règne dans certains des pays concernés. L’argent arrive difficilement sur le terrain, jusqu’aux gestionnaires de Parcs, aux organisations de la société civile, aux communautés locales, qui sont les véritables acteurs de changement. Par ailleurs, le cycle de financement des bailleurs internationaux est souvent un cycle de temps court, de 3/5 ans, en lien avec les engagements et les mandats politiques.

Or, la protection de la biodiversité ne peut se faire que sur un temps long, de 10 à 20 ans. Ce travail de protection des espaces se co-construit avec les communautés locales et les autres acteurs du territoire, qui doivent s’approprier le projet, y trouver leur intérêt et permettre la restauration de la biodiversité en harmonie avec son environnement social et économique. C’est établir un contrat social avec toutes les parties-prenantes.

Aussi les ONG comme la nôtre sont victimes de cette contradiction. Noé s’engage, auprès des États, à gérer les parcs sur un mandat de 20 ans mais tous les 3 ou 4 ans, nous devons retrouver des financements qui sont essentiels pour faire perdurer le projet. Arrêter un projet au bout de quelques années est totalement contre-productif et finalement, une façon de jeter l’argent par les fenêtres. Pourtant, sur le terrain, on le voit souvent…

Je t’entends mais alors, cette COP 15 c’est un cadeau de Noël ou pas ?

Oui, bien sûr, ç’est un engagement fort de la communauté internationale, pour autant que les organisations de terrain et les institutions de sauvegarde de la biodiversité soient vigilantes sur les conditions de la réussite, et que bien sûr, chaque pays respecte ses engagements… Ensemble, nous contribuerons à faire de cette ambition une réalité sur le terrain.

Noé est donc aux premières loges pour agir mais que peut faire le simple citoyen du monde pour la biodiversité ?

Et bien, prenons nos responsabilités et faisons des gestes simples, accessibles à tous :

–       Laissons de la place à la Nature dès que nous le pouvons : influençons par nos votes les politiques des collectivités et du gouvernement, demandons à nos communes de mettre en place des réserves de biodiversité sur ses terrains mais aussi évidemment laissons un coin de nature dans nos jardins.

–       Consommons moins et mieux : deux menaces majeures pour la biodiversité sont la surconsommation des ressources naturelles et le changement climatique. En prenant moins nos voitures, en achetant moins de produits, en mangeant moins de viande, nous diminuons les pressions sur la biodiversité. Nous devons aussi être attentifs à la façon dont les produits sont fabriqués : huile de palme, empreinte carbone, pesticides, …

La clef dans ce monde hyperconnecté est de se reconnecter avec la Nature. C’est ainsi que nous pourrons être plus heureux et conscients des limites que nous devons respecter.