Les portes automatiques s’ouvrent automatiquement (les choses sont parfois faites ainsi) et l’ascenseur me propulse en 3 secondes, soit 1 de moins que l’ancien modèle (c’est toujours ça de gagné) sur ce roof-top où des mannequins en cellulose « 100% éthique » se maquillent pour devenir plus vrais que nature, où des coupes de champagne s’entre-choquent de vulgarité en poussant de grands cris outrés à propos du dernier scandale sanitaire qu’elles ont déjà oublié, où des hambur-guerriers et des petits-fouriers bios aux branches aussi opulentes qu’indécentes ploient sous le poids des fruits du progrès. Ça va forcément craquer, me dis-je intrigué. Mais non : tout résiste en faisant un fucking doigt d’honneur aux lois de la gravité, d’Archimède, de Newton, du bon sens… un peu toutes les lois, quoi.
J’entre en scène comme on entre dans les ordres. Avec contrition, oubli de soi et foi inébranlable en ce qui s’offre à mes yeux : le progrès, devenu la première religion du monde. Tant de folles innovations, c’en est presque insoutenable de bonheur mais, magie, je m’y fais instantanément : il faut vivre avec son temps qui se compte désormais en seconde car il faut aller vite, toujours plus vite. Alors je suis le rythme. Tout enivré que je suis, je me retourne et tombe nez à nez sur deux splendides jeunes hommes, nus car ils n’ont rien à cacher me disent-ils, et identiques en tout point. Ils sont tous deux terriblement séduisants. Je ne me demande pas si je fabule, si je confonds ou si je suis juste saoul d’être assoiffé de toujours plus : « de nos jours, on ne peut jamais dire qui est qui, mais on s’en fout, au final », me susurre ma toute nouvelle oreillette qui me dispense de penser. Sur leur tatouage, pourtant, on peut lire
« Progrès » sur l’un et « Confort » sur l’autre.
Un jour, plus tard, je parle toilettes sèches avec un ami qui roule les yeux au ciel comme si le ciel y pouvait quelque chose. Mais peut-être le croyait-il, en fait. « On n’a pas connu tous ces progrès pour revenir en arrière », me dit-il.
Immédiatement, j’ai retrouvé mes jumeaux nus qui me faisaient la danse du ventre dans cette phrase ô combien solennelle, presque officielle. Car finalement : est-ce du progrès que d’utiliser 3 litres d’eau potable pour un pipi, ou du confort de ne pas avoir à les gérer (et du coup de ne pas regarder le sujet de l’eau en face) ?
Si, comme moi chaque soir, on relit le dictionnaire philosophique de Lalande attentivement, le progrès serait « une transformation du bien vers le mieux, soit dans un domaine limité, soit dans l’ensemble des choses ». Une chose qui doit être mesurée en termes de développement social, économique et technologique. Il s’agit d’améliorer la vie des gens, de créer de nouvelles opportunités et de rendre le monde meilleur. Si on va plus loin, le progrès nécessite souvent un certain inconfort, car il peut impliquer des changements et des ajustements dans notre façon de vivre. Le confort peut donc être un obstacle au progrès.
La voiture par exemple, a rendu la vie plus facile et plus pratique en permettant de se déplacer plus vite, en toute liberté & indépendance. Mais elle a des effets négatifs sur notre santé, sur l’environnement et sur la qualité de vie de nombreuses communautés. Le véritable progrès consisterait donc à trouver des moyens de rendre les transports plus durables et plus respectueux de l’environnement, tout en permettant aux gens de se déplacer librement et efficacement (#SNCF). Cela peut impliquer des ajustements dans notre mode de vie, comme prendre les transports en commun, marcher ou faire du vélo plutôt que de conduire une voiture.
Ces changements peuvent être inconfortables au début, faire penser que l’on régresse car on se prive d’innovations qui existent, toute offerte sur ces opulentes branches. Mais ils sont nécessaires pour atteindre un véritable progrès.
Enfin je crois. Et j’y crois.